La CCC, Courmayeur-Champex-Chamonix

Tout avait déjà mal commencé, 9 jours avant la course je tombe sur le genou en montant des escaliers en marbre, le genou s’éclate en premier sur cette pierre très très dure. Les grandes douleurs restent muettes, même si je n’ai pas hurlé, j’ai senti la douleur pendant un long moment avant de m’en remettre. Une douleur qui vous rend malade à transpirer et à avoir des nausées. La deuxième mauvaise nouvelles est arrivée lors d’une des courses de l’UTMB dont la CCC fait partie: un coureur s’est tué sur la TDS (Traces des Ducs de Savoie), la course a été arrêté pour la plus-part des coureurs dont mon pote d’enfance Grégo et un collègue Christophe.

Je me retrouve à Courmayeur, juste derrière le tunnel du Mont-Blanc, derrière Chamonix, la course ne me fait pas trop peur, juste ces barrières horaires qui risquent de me rattraper vers la fin, mais je suis assez confiant. Ma femme m’a accompagné à Chamonix et devrait m’accueillir à l’arrivée, ce week-end à Chamonix me semblait parfait, il faut juste finir dans les temps cette course de 101km et ses 6100m de dénivelé.

Au départ on entend les hymnes des 3 pays qui accueillent les courses de l’UTMB, l’Italie, la Suisse et la France. J’avoue, que pour chacun des hymnes, l’émotion monte un peu, cette course voilà 3 ans que j’essaie de la faire et cette fois j’ai pu enfin être tiré au sort. L’envie est là et l’émotion aussi.

J’envoie quelques photos à mes supporters sur WhatsApp qui m’envient d’être en ce vendredi dans les Alpes plutôt qu’au bureau à travailler. Oui la course à lieu un vendredi et je dois arriver le samedi avant 12h30 heure de la dernière barrière horaire.

Courmayeur, km 0

Pour une fois je ne pars pas dans le dernier sas mais dans l’avant dernier, cela me donne 15 minutes de plus sur les barrières horaires. Le profile de la course ressemble trait pour trait au profile de la X-Traversée d’il y a 2 mois à Verbier: une belle montée de 1500m sur les 10-12 premiers km. Donc cela ne devrait pas poser de problème.

Nous quittons donc tous Courmayeur, sous les « Houras » des habitants du Val d’Aoste, en français ou en italien, les deux langues officielles de cette magnifique région. Tout doucement nous quittons la ville pour arriver après quelques km dans des sentiers montants mais encore très roulants.

Après quelques km, dans une montée très arborée, j’entends, Mizuno, Ascics, Mafate, Saucony, … en répétition. Étrange? En fait des bénévoles semblent compter les marques des chaussures de trail, en me rapprochant, je vois une palanquée de bénévoles (ou marketeurs) en train de faire des statistiques sur les marques de chaussures.

Au 6e km, on arrive à mi course du premier sommet de la « Tête de la Tronche » et on attaque la partie un peu plus en altitude, je vois au loin le sommet et un long serpent de coureur colorés. J’arrive a peu près à suivre le rythme. D’un coup, j’entends plus haut, des cris sauvages, je regarde et je ne comprends pas. Tous les coureurs semblent reprendre ces cris de terreurs. Je regarde bien, non rien. Je tourne ma tête vers la gauche et je vois passer un caillou, que dis-je un mini rocher passer à quelques mètres de moi. Plus haut un coureur a dû glissé sur un caillou et le bolide a dévalé la pente à toute vitesse, je n’ai rien vu.

Quelques centaines de mètres plus, il commence à faire chaud et j’enlève mon foulard/buff de la SaintéLyon, mon voisin derrière me dit que c’est quand même plus joli que la SaintéLyon. C’est vrai que les paysages sont magnifiques et en comparaison la SaintéLyon est très sombre. Je lui réponds oui c’est beaucoup plus joli et surtout moins humide.

Un nouvelle fois, les coureurs devant moi ou plutôt au dessus de moi hurlent; un autre caillou bien plus gros dévale à quelques mètres de nous et à une vitesse encore plus impressionnante, mais cette fois-ci il était plus bien plus loin.

Une catastrophe arrive parfois petit à petit et je commence à ressentir des crampes dans les mains en à cause des bâtons. Certains doigts restent figés, j’essaie de les faire bouger, mais cela ne m’alarme pas trop. Je bois un peu, mais j’ai surtout rien bu ou presque, avant mon départ de Courmayeur. Je me sens bien, mais la machine commence à chauffer, je laisse filer le train de coureurs pour reprendre un peu mon souffle. Je regarde mon temps et mon estimation de passage au sommet, je suis plutôt en avance, donc pas de panique, refroidir la machine me fera le plus grand bien.

Tête de la Tronche: km 9, 2h48 de course, 1420m de D+

Je suis dans les temps, le site livetrail.net estimait mon passage en 2h50, j’ai un peu ralenti après les 2/3 de la montée pour ne pas arriver trop vite et ne pas trop me fatiguer, la course va être encore longue. Tous mes supporters sur WhatsApp sont là et j’entends encore Matthieu dire que je suis un métronome. Oui mais je l’ai un peu fait exprès pour ne pas me cramer tout de suite. Je continue tranquillement sur le Refuge Bertone. Les sentiers sont plutôt roulants, mais je me méfie des chemins en forme de rigole, il y a rien de mieux pour se casser la gueule, vu la largeur des rigoles et de mes pieds.

Refuge Bertone, km 13, 3h31 de course, 1440m de D+

Premier ravitaillement, je mange un peu mais ce n’est pas le diner des grands soirs, je commence à bien boire et je repars assez vite. On continue sur la vallée, à notre gauche le Mont-Blanc, quoi dire de plus. La course pourrait s’arrêter là, c’est magnifique, grandiose. Les photos sont jolies mais cela rend beaucoup moins bien qu’en vrai.

Vers le km 17 tout s’enraille, mais tout. Jamais aussi tôt dans une course j’ai ressenti des crampes, je sais qu’il faut que je boive que cela ira un peu mieux, mais tout semble bien orageux d’un coup. Je n’ai pas fait le cinquième de la distance et voilà que les crampes commencent à me tirailler. L’année dernière, j’ai eu les même crampes au km 30 (sur 74) à l’UTMJ, j’ai pu finir dans la douleur et faire 40 km avec des douleurs aux cuisses. Aujourd’hui pour boucler ce demi-tour du Mont-Blanc il me faut faire plus du double, soit 84 km. Je commence à sentir le gyrophare de l’ambulance (ou l’abandon), mais je pousserai tant que je peux.

Je bois je mange un peu, les crampes sont là et repartent au fil des km, la partie va être longue contre elles. Je pense que le manque de dénivelé, dans les dernières semaines d’entrainement et le manque d’hydratation juste avant la course sont les principales causes de ces maudites crampes. Sur la X-Traversée, tout cela c’était bien passé, de plus les profils de la CCC et de la X-Traversée de Verbier sont assez similaires dans les premiers km. Bon de toute façon, maintenant il va falloir gérer, gérer les jambes et les barrières horaires aux vues de mon état et cela ne va pas être facile.

Arnouvaz, km 26, 5h59 de course, 1860m de D+

La descente sur la ravito d’Arnouvaz commence a être un véritable calvaire, je me retiens un peu sur les bâtons pour éviter les douleurs aux cuisses. J’arrive au ravito, je me restaure bien, un peu de fromage local (un peu étouffe chrétien), du Coca, j’en profite.

Un bénévole m’appelle par mon prénom (qui est sur mon dossard) et me demande si tout va bien. Je réponds que j’ai des crampes aux cuisses et je lui demande s’ils ont des pastilles de sel. Il me répond de demander aux médecins juste derrière moi. Je réitère ma question au médecin, celui ci me répond « pourquoi ? ». Je luis explique que j’ai des crampes depuis un petit moment (9km).
Là, la conversation devient un peu étrange « quand as-tu pisser pour la dernière fois ? », je réponds en bafouillant que je ne me rappelle plus où exactement mais que oui j’ai « pissé » depuis le départ. A ce moment là, il m’explique le pourquoi de ces questions très étranges. En fait en continuant à courir avec des crampes, il me dit que je risque de « bouffer mon muscle » et que si je vois mon urine devenir brune ou rouge, c’est le signe d’une « hématurie de l’effort » et que je risque détériorer mon rein et je finirai sous dialyse. Là je flippe un peu!
Bon là les choses sont claires et nettes. Le médecin me donne une pastille de sel que j’avale et je sors du ravitaillement. Première chose que je fais: je pisse. Je pisse jaune, donc je continue, dans la douleur mais je continue.

La montée du grand col Ferret est aussi magnifique, je vois une ribambelle de coureurs qui montent tout au sommet la-haut. Je déplace mon regard sur la gauche, non le sommet est encore un peu plus haut. Cela semble très haut, mais cette montée est beaucoup moins longue que la première, mais de visu elle me parait interminable. Je me fais un peu doubler par d’autres coureurs, j’arrive a peu près à monter avec les autres. Les cuisses sont un peu douloureuses, mais en montée les douleurs sont gérables. Je dois arriver au sommet vers 7h50 de course pour être dans les temps, même si les jambes ne sont pas au top, je peux toujours voir si en n’étant pas au top de ma forme j’ai une chance de finir la course. Petit à petit je vois que je ne suis pas trop en retard, les cuisses supportent bien le dénivelé positif, mais le sommet semble encore haut. Je commence à me faire doubler mais c’est une habitude, je ne m’inquiète pas trop.

Grand Col Ferret, km 30.7, 7h59 de course, 2600m de D+

J’arrive au départ, un hélicoptère tente de se poser sur le sommet, mais semble-t-il cela sera difficile, c’est impressionnant il est juste à 3 ou 4m du sol, bravo le pilote.
Je passe le sommet avec 9 minutes de retard sur les estimations du site livetrail.net. Ce n’est pas si mal, maintenant je vais voir ce qu’il reste de la machine et mes jambes sur la descente jusqu’à la Fouly. Très rapidement je vois que c’est la catastrophe, je croise un breton qui file comme lapin sur une petite pente de -5%, le chemin est très large et très roulant, je devrais courir et le suivre à son petit rythme. Rien à faire, mes cuisses sont trop douloureuses, je n’arrive plus à courir. Normalement là ou je peux enfin dépasser les autres coureurs, je suis encore à l’arrêt. 15km que je me bats avec ces crampes, mais là je ne sais pas comment je vais faire pour repartir. Alors je marche.

Petit à petit et à un rythme de petit marcheur j’avance, je ne pense plus vraiment à l’arrivée, mais où est-ce que je vais arrêter? Surement la Fouly dans quelques kilomètres, plus j’avance plus mes jambes me font souffrir, des couteaux me rentrent dans les cuisses à chaque pas. Sur l’échelle de douleur je pense être à 6 ou 7 (sur 10), cela pendant quelques fractions de seconde, mais c’est douloureux. Je continue à marcher, plus je m’approche de ce dernier ravito (pour moi, La Fouly) plus mon cerveau me dit que c’est la fin et que je vais finir à l’hôpital (ma phrase culte: la médaille ou l’hôpital).

Arrivée à 5km de La Fouly, j’annonce à mes supporters et à ma famille que le prochain ravito sera mon terminus, trop de douleurs et petit à petit je finis par encore ralentir pour prendre des photos et discuter avec les randonneurs. Le cerveau a lâché l’affaire, me voilà DNF (Did Not Finish). Tous mes supporters me félicitent, mais j’essuie quand même une petite larme, ne pas s’hydrater et avoir des crampes au 17e km …. j’enrage, quel idiot je fais.
Mon pote Matthieu m’écrit en privée et me demande « si ma décision est irrévocable ». Je manque de lui répondre que non, car ça commence à aller mieux, mais 300m plus tard sur une descente un peu technique mes cuisses me déchirent une grimace qui montre que les muscles sont à bout. Je vais finir au 40e km et puis c’est tout!

3km avant La Fouly, je ne comprends pas pourquoi ni comment, un petit revival, mes jambes se sont refaites une santé, le chemin est en légère descente et soudainement je me remets à courir, les douleurs sont encore un peu là, mais sans commune mesure par rapport au précédents kilomètres. Je cours, je cours et je recours, je suis aux anges et si … et si je continuais. J’annonce avec fierté mon revival à mes supporters, ils sont tous heureux de voir que je n’abandonne pas si vite, la médaille n’est pas du tout gagné et le gyrophare de l’ambulance pour l’hôpital est toujours là, juste derrière moi.

La Fouly, km 40, 10 de course, 2660m de D+

J’arrive avec 30 min de retard à la Fouly sur le temps prévu. Rien de catastrophique pour le moment, j’ai pris mon temps, mais surtout les jambes sont un peu revenues. Je me dis que je vais essayer à chaque ravito de voir ce qu’il me reste dans les jambes et voir si je pourrai aller jusqu’à l’arrivée. Je m’y vois à cette arrivée, ça serait un miracle de finir car les douleurs vont revenir et certaines descentes risques d’être déchirantes de douleur. Mais je tente la prochaine étape Champex-Lac car comme on dirait avec mon pote Grego: « On n’abandonne pas à la Fouly » suite à son abandon à La Fouly lors de la X-Alpine.

Je repars donc à bloc de La Fouly prêt à en découdre comme jamais, et bien motivé pour arriver à la prochaine étape. En sortant je prends un morceau de gâteau, que je déguste en marchant et … roulé-boulé.
Je fais une « pirouette-salto-avant » digne de Belmondo. Un coureur vient me relever, vérifie que tout va bien. Je le remercie chaudement, j’ai vraiment été surpris (encore par une racine) et je suis très bien tombé sans me faire mal. Mais je repars aussi sec en courant et en courant assez vite (6min/km, 10km/h), je suis aux anges. Je sais que cette victoire sur mes douleurs n’est que passagère, dans quelques kilomètres tout va revenir. Néanmoins, je commence à doubler des coureurs, le moral est top et je me surprends à rêver de l’arrivée, mais cela ne sera qu’un rêve.

La nuit tombe et maintenant je continue à marcher vite, les sentiers sont beaucoup moins roulants, beaucoup de cailloux et de racines. Mais même lorsque je marche j’arrive un peu à doubler, si je n’avais pas ces douleurs aux cuisses. Maintenant la nuit est bien tombée, à chaque fois que je m’arrête je vérifie à la frontale que mon urine est bien jaune et non pas rosé ou brune, de ce coté là tout va bien. Me voilà arrivé à Praz-le-fort petit village au point bas avant Champex-Lac. Comme me disait mon pote Grégo la petite montée du Champex n’est pas si simple. Effectivement ça monte un peu, mes supporters m’encouragent toujours même s’il se fait déjà tard, il est 22h.

Je me fais doubler les quelques coureurs que j’avais doublé dans la descente, la montée est longue même sil elle ne fait que 400m de dénivelé, elle me parait interminable. A 1 km de Champex, je sais que je suis bientôt au ravito, mais aucune musique, aucun bruit je me crois en pleine nature, où est ce maudit ravito. Je traverse la route et un peu plus haut je vois la ville, j’arrive enfin à mon terminus.

Champex-Lac, km 54, 13h20 de course, 3200m de D+: Terminus

J’arrive bien entamé au ravito, le moral est bon mais la tête à déjà basculé en mode DNF. Je me pose la question de savoir s’il faut continuer: Oui ou Non ?

  • Oui, j’ai encore de quoi repartir, donc il faudrait le faire tout de suite, j’ai 45 minutes d’avance sur la barrière horaire.
  • Non, je suis bien naz j’ai le Marathon des Sables dans moins d’un mois et 2 cuisses en agonie depuis 37km, j’ai mal

Mes supporters me poussent à continuer, mais le Non l’emporte depuis un moment sur le Oui. Je prends à manger et je me pose sur un banc, la décision est prise j’arrête là. Les 3 prochaines montées que je vois sur la suite du parcours me font horreur: 3 montées dont 2 redoutables à 17% et 20%. Je ne me vois pas finir ce calvaire surtout avec 2 cuisses en moins. Après mon bon sandwich pain, saucisson, fromage improvisé à Champex. Je vais voir l’organisation et je rends mon dossard, soulagé. C’est fini, je suis « Did Not Finish ».

Dans le bus, un peu après

Aurais-je pu finir et faire une victoire aux forceps? Rien n’est moins sûr, j’ai perdu un peu de temps avant la Fouly, mais de plus vu mes piètres performances en montée j’aurai surement été éliminé aux barrières horaires, mais j’aurai été un peu plus loin.

Dans le bus avec les autres DNF


Je m’aperçois qu’il faut bien se préparer mentalement quand tout va mal et prévoir les questions à se poser avant un abandon. J’ai regardé après la course, Champex-Lac et La Fouly sont les ravitos où les coureurs ont le plus abandonné durant la course. Je pense que si j’avais eu cette information avant le départ, je serais (peut-être) allé un peu plus loin histoire de sortir du lot, je pouvais repartir à Champex mais le cerveau avait déjà basculé dans le mode DNF. Le cerveau avait aussi peur des barrières horaires, j’aurai pu repartir avec 15 minutes d’avance de Champex au moment ou j’ai rendu mon dossard, mais je ne me voyais pas affronter encore 3 montées et plus de 45km. Si j’avais été à 20-25km de l’arrivée je serai reparti et surement fini.

En conclusion, c’est une accumulation de soucis qui m’ont fait abandonner, je ne regrette pas du tout mon choix. Mais cet abandon m’a permis de voir où trouver les ressources mentales pour continuer même si tout ne va pas bien. Mais à froid il est toujours facile de dire « j’aurai dû … ». Dans le feu de l’action j’étais très content d’abandonner et de finir ce calvaire. La X-Traversée (73km et 4900m de D+) était aussi difficile sur le papier, mais moins longue que la CCC (101km et 6100m de D+), mais aujourd’hui la machine était moins prête.
Alors je reviendrai, l’année prochaine, si le tirage au sort me choisit, sinon j’ai déjà trouvé 2 courses équivalentes avec la même distance et le même dénivelé que cette mythique CCC.

Un grand merci à tous mes supporters, qui furent là tout le temps dans mes pensées et aux ravitos. Un grand merci aux bénévoles et aux organisateurs pour le parcours de cette course formidable, comme le disait un certain Arnold: I will be back !!!