Marathon des Sables 2021

18 mois que j’attendais cette course, 18 mois que mon sac était prêt et moi aussi. La course avait été une première fois reportée, du mois d’avril 2020 au mois d’octobre, puis encore reportée au mois d’avril 2021 et encore une fois reportée au mois d’octobre 2021.
Enfin la promesse du désert Marocain se profilait, enfin j’allais pouvoir faire cette grande traversée en 6 étapes entre les provinces d’Errachidia et de Ouarzazate. Le Marathon des Sables est connue pour être une course difficile, certains disent « LA » course la plus difficile du monde. D’autres disent que d’autres le sont bien plus: le TOR des Géants, la Bad Water, la Barclay. Un concurrent du Half Marathon des Sables (HMDS) m’avait dit en 2018, que le HMDS n’était pas deux fois moins dur que le Marathon des Sables (MDS) mais simplement deux fois moins long.
Je m’attendais à une course rude dans des conditions difficiles et chaudes, mais je ne m’attendais pas à ce que j’ai vécu dans ce désert Marocain, chaque étape/jour fût un défi

1er octobre: arrivée au bivouac vérification des sacs et remise des dossards

Nous sortons de l’avion à Errachidia, un aéroport minuscule au bout d’une piste plantée au milieu du désert. Les militaires s’agitent à notre arrivée ainsi que des hommes en blouses blanches, ils sont là pour vaguement vérifier notre passe sanitaire ou notre test PCR. Cela ressemblera plutôt à une passoire sanitaire où le test des QR codes se fait sous un œil pas très incisif et sans application informatique. Le directeur de course Patrick Bauer, nous accueille comme des amis pour participer à cette 35e édition. 1h30 de bus plus tard, nous voilà débarquant avec nos valises et sacs dans le bivouac du Marathon des Sables: tentes berbères, tapis à même le sol pour seul confort. Le reste doit être dans notre sac à dos, le décor est planté, nous voilà au cœur du MDS.

Mon pote Alain est bien sûr de la partie et nous faisons la connaissance des autres colocataires de notre luxueuse tente (la 38): Sébastien, Frédéric, Stéphane, Nicolas, Laurent et François. Sébastien pour briser la glace a apporté un Brie et une bière qui nous réconfortent bien et permet de bien briser la glace dans ce désert.

2 octobre: vérification des sac et remise des dossards

Les 2 premiers jours le petit déjeuner, le repas et le diner sont pris en charge par l’organisation. On mange comme des rois, que des plats locaux, un régal. Dans la journée tous les coureurs passent à la vérification et le pesage du sac ainsi que les vérifications médicales.
Mon sac pèse officiellement 8,03kg, mais mon ECG n’est pas validé, la date n’est pas correcte. Petit coup de stress, mon médecin n’ayant pas signé avec la date du jour mon ECG, il est donc refusé. J’en refais un autre chez les Doctrotters (médecins bénévoles du MDS), je perds quelques minutes et me voilà prêt comme tout le reste de la tente 38 pour en découdre avec le mythique Marathon des Sables.

Etape 1: 32,2 km, la traversée du désert

J’ai très mal dormi, notre tente étant traversante et une nuit venteuse n’a pas arrêté de me réveiller, j’avais peur que mes affaires s’envolent. Le chaud, le froid dans le duvet ne m’ont pas laissé dans les bras de morflée assez longtemps. De plus se coucher vers 20h n’est pas vraiment dans mes habitudes, je me suis réveillé à plusieurs reprises: vers minuit, 2h du matin et surement encore un peu plus tard. Vers 6h du matin tout le bivouac se réveille pour se préparer au premier départ, enfin.

Vers 9h, nous voilà au départ, les 680 coureurs sont prêts à en découdre avec le désert, la mythique musique du Marathon des Sables retenti enfin: « Highway to Hell » du groupe AC/DC. Nous sommes tous surexcités et dans les starting-blocks, tels des champions de Formule 1 sur une grille départ, on fume, on fulmine, on est prêt.

Patrick Bauer (le directeur de course) donne le départ, ça y est tout le monde part dans la musique infernal d’AC/DC. Alain un peu devant moi part, je cours, un peu, pas trop vite. D’abord quelques dunettes et ensuite les 32km du parcours. Très vite je m’aperçois que mon sac ventral me cause quelques soucis, la bouteille de 1,5L ballote un peu et les sangles que j’ai installé ne tiennent pas vraiment. Que cela ne tienne, j’ai un plan B: je peux faire passer les sangles de mon sac ventral derrière mon cou et l’attacher pour faire un boucle sur l’arrière de mon sac. Je n’y arrive pas bien, une Anglaise m’aide pour faire la boucle dans mon dos. Ça y est tout est bien fixé, je cours pour rejoindre Alain.

Mais que se passe-t-il? Je sens que la machine s’emballe, un sentiment bizarre, j’ai l’impression d’être dans ma zone de seuil au niveau cardiaque. Je rejoins petit à petit Alain, je m’accroche. Bizarre tout semble se déliter, mes forces m’abandonnent. Je suis dans le rouge, est-ce la chaleur ? Le stress de cette course mythique ? Alain file devant, une petite montée, je me traine, Alain s’éloigne encore un peu. Tout le monde me double, mais que m’arrive-t-il ? Rien, je ne comprends rien, je marche à 2km/h et encore, les marcheurs et marcheuses me doublent. J’ai l’impression que je m’éteins. Je me dis que 250km dans cette zone rouge est impossible, je n’ai pas fait 10km que tout s’assombrit. Je vois déjà les sirènes bleues de l’abandon (la médaille ou l’hôpital) me tourner autour.

J’arrive au premier ravito, je vois Alain qui redémarre et repart pour le ravito 2. Je prends mes bouteilles d’eau et je repars comme un zombie. Je suis exténué, je n’en peux plus, je suffoque, je ralenti encore. Alors en plein milieu du désert, je décide de m’arrêter, je n’en peux plus. Je lâche mon sac, je m’arrête, je ne peux plus avancer …

Et soudain je sens qu’une valve s’ouvre: de l’oxygène, du sang, de la force se libère comme si un bouchon coinçait tout le système, un vent de fraicheur me fait repartir. La boucle faite par mon sac ventral derrière mon cou devait faire pression sur un veine ou une artère, je ne sais pas. Mais en remettant mon sac comme au départ je me sens repartir. Je remarche, je recours, je survis, je suis de retour dans le MDS. Hélas, ces 10-12km à l’agonie m’ont fait monter dans les tours et j’ai dû engendrer beaucoup de lactates, je le sens: je suis fatigué, mais rassuré je pourrai au moins finir cette étape.

Vers le 20e km, une longue ligne droite, ma fatigue me tiraille, je m’assieds une ou deux fois. Je referme mal mes bouteilles d’eau et par 2 fois je renverse ma précieuse eau dans le désert. Il reste 2 ou 3km, je vois l’arrivée et maintenant mon niveau d’eau est à 0, je n’ai plus rien, je suis à sec. Je demande un peu d’eau à un couple de coureurs Suisses, le mari se précipite et me donne une bonne demi gourde d’eau (400ml). Pour moi cette eau c’est de l’or dans ce désert. Mon royaume pour un demi-litre d’eau. Je finis avec peine cette première étape, fatigué comme jamais, mais heureux d’avoir trouvé le problème de mon sac et d’avoir trouvé deux Saint-Bernard (Suisses) dans le désert. Alain s’en veut de m’avoir laisser seul, il n’y est pour rien, je n’ai pas testé mon sac dans la configuration course qui a faillit me faire abandonner dans les 10 premiers km, quel idiot je fais.

Toute la tente 38 finira, plus ou moins bien cette première journée, je crois que 2 ou 3 d’entre nous finiront chez les Doc-trotters. Mais tout le monde sera partant pour la 2e étape.

Etape 2: 32,5km, L’enfer des Dunes

J’ai encore très mal dormi après la première étape, j’ai été réveillé 3 ou 4 fois. Le vent n’a pas arrêté de s’engouffrer dans notre tente. J’ai encore mal rangé mes affaires et j’avais peur qu’elles ne s’envolent, j’ai calé mes habits entre mon sac de couchage et mon sac à dos, j’ai très peu dormi et ce matin je risque de le payer cher.

Au départ nous sommes tous prêt au départ. Patrick Bauer annonce une journée très très chaude (d’après certains il fera plus de 56°C). Patrick nous rappelle de bien prendre toutes les bouteilles d’eau et de prendre nos pastilles de sels. Il nous annonce déjà un grand nombre d’abandons: 56. Ce qui représente déjà le taux habituel d’abandons pour tout un MDS des années précédentes.

Le départ est donné, Patrick et son acolyte sont à fond sur la musique d’AC/DC et nous aussi. Je redoute vraiment ces fameuses dunes entre le ravito 1 et 2 (ou CP1 et CP2).

On passe le petit village Tisserdime, comme hier des gamins nous accompagnent et nous demandent des bonbons ou un peu d’eau. Hier avant de perdre toute mon eau j’ai donné un peu d’eau à des petites filles sur le longue ligne droite avant l’arrivée.

Je crois qu’Alain arrive le premier au ravito 1 (CP1) et l’on repart ensemble pour affronter ces dunes, ces fameuses dunes dont j’ai si souvent entendu parler. Les paysages sont magnifiques, malheureusement ma GoPro avait l’écran sale et les photos et vidéos rendent très mal la beauté de ce site. Par contre la difficulté je m’en rappelle bien: 13km de dunes, à monter et descendre et à s’enfoncer dans le désert par des températures réellement infernales ! Je repars en tête du CP1 Alain est juste derrière moi. On recroise Sébastien de notre tente, tout semble bien se passer dans cet enfer Marocain. On fait une petite pause en plein milieu des dunes pour se rafraichir, mais est-il est vraiment possible de le faire dans cette fournaise? Après une bonne dizaine de km, la fatigue me tombe dessus. Fatigue des mes 2 précédentes nuits, je deviens presque un zombie. Alain s’évade une petit peu, j’ai du mal à avancer, le cerveau passe en mode « questcequejefouslà ». La chaleur et la fatigue m’étouffent, j’avance tant bien que mal et je commence à réaliser ce qu’est le 35e Marathon des Sables, je réalise vraiment la chanson d’AC/DC « Highway to hell » (l’autoroute pour l’enfer). Non je ne suis pas malade, j’ai juste une fatigue qui me pèse et m’empêche d’avancer, je n’arrive pas à me réveiller. Alain a maintenant disparu au loin dans les dunes et j’avance sur cette autoroute de l’enfer.

Je vois enfin le bout, le CP2 est à quelques centaines de mètres, peut-être 400m, pas plus, mais mon corps me dit d’arrêter, il faut que je m’arrête un peu, là, en pleine fournaise, au milieu du désert je n’en peu plus, je m’assieds 5 minutes. Je mange un morceau de barre de chocolat super fondu (est-ce encore du chocolat?), je bois un peu, enfin le reste de ce qu’il me reste, le fond du bidon. Et après 5 ou 10 minutes je repars jusqu’au CP2, oui les 400m les plus longs de ma vie de coureur.

Au CP2 je retrouve Alain, qui semble-t-il est là depuis peu de temps aussi, il a aussi bien rôti dans les dunes. Un espagnol se pose à coté de moi, un espagnol de Barcelone très sympa. On discute un peu et je repars. Le lendemain j’apprendrai que cet espagnol est une Rock Star batteur du groupe « Love of Lesbians », plusieurs Grammy Awards … ah bon perso inconnu au bataillon pour moi.

Je repars en pleine forme, j’ai l’honneur de repartir et de discuter un peu avec une légende du MDS, Christian Ginter, déjà 32 participation au MDS et il finira sa 33e participation avec une fracture de fatigue, une force de la nature. Christian est très sympathique et très abordable, une vraie mine d’information de partage et de gentillesse. Je finis cette deuxième étape en bien meilleure forme que la première, Alain est à une encablure de moi à 10 ou 15 minutes d’avance.

Tard dans la soirée, le directeur de course nous appelle pour faire un communiqué: un coureur d’une cinquantaine d’année, Pierre, nous a quitté aujourd’hui dans ces mêmes dunes, d’une crise cardiaque. Une chape de plomb et de chagrin s’abat sur le camp du MDS et nous assomme encore plus, comme si les températures oppressantes n’étaient pas suffisantes. Ce MDS devient vraiment un enfer !!

Etape 3: 37,1 km, l’hécatombe continue

Troisième nuit difficile, toujours un peu de vent et peu de sommeil. On commence à bien s’habituer au rituel de la course: 6h réveil, démontage des tentes et départ vers 8h30. Mais la très mauvaise nouvelle d’hier nous à tous bouleversés. Non cette course n’est plus vraiment ce dont j’avais rêvé, même si nous sommes tous en berne suite au décès de Pierre hier dans les dunes. Cette course tourne vraiment au cauchemar. Les abandons continuent, 102 à la fin de l’étape 2 et encore 32 au départ de cette étape. 134 abandons en tout: une hécatombe. Toute la tente 38 est en forme, quelques ampoules, mais nous sommes tous plus ou moins en état de marche et en course.

Le départ est donné, avec la musique du groupe Love of Lesbian en hommage à Pierre qui nous a quitté hier dans les dunes. Il nous rappelle de ne pas partir d’un ravito sans être sûr d’arriver au prochain sans encombre et de ne pas utiliser les secours pour des petites fatigues au risque d’avoir d’autre incidents graves. Cela me semble du bon sens, mais certains (une large minorité) semblent abuser de l’hélicoptère lors de grosses fatigues.

J’ai peu de souvenirs de cette journée, fatigue, répétition des paysages magnifique ou simplement mon cerveau n’a pas réussi à identifier quelque chose de vraiment différent, je ne sais pas. Dans mes souvenirs, Alain part un peu en tête, je le suis à distance dans les dunes jusqu’au premier ravito, je le vois un peu au loin, je me rapproche et m’éloigne en fonction du terrain. Au premier ravito, je m’arrête pour que les bénévoles me remettent en place ma balise GPS qui me griffe l’épaule. Après une ou deux minutes pendant qu’une bénévole remette ma balise en place, j’entends un coureur presque frais qu’il abandonne. Je suis assez perplexe, il est debout, presque bien et annonce son abandon. Il ne faut pas juger un coureur sur son allure, il vit surement un enfer depuis longtemps (gastro, ampoules, douleurs), et je me dis que l’hécatombe du 35e MDS continue.

Une chose dont je me souviens est ma gestion des bouteilles d’eau sur cette étape, j’ai besoin de 3 bouteilles d’eau pour environ 12-13 km. Ce calcul aura une importance capitale pour la prochaine étape.

Alain fini un peu devant moi, il est bien et marche un peu plus vite que moi et fini encore avec quelques minutes d’avance sur moi. J’arrive avec le coucher du soleil en contournant une dune. Les souvenirs sont très diffus sur cette étape. En arrivant une bénévole très connue dans le monde du MDS (et plusieurs fois finisheuse du MDS) qui était hier encore une coureuse, me félicite. J’en conclue que les abandons touchent même les coureurs les plus aguerri(e)s, cette course continue a être un enfer.

Je prends mes bouteilles d’eau et je découvre enfin la 4e étape qui était LA surprise de ce MDS. Une étape de 82 km. Je pousse un large soupir (de fatigue? de rage? de désespoir?) mais cela ne finira donc jamais, cette course ne finira jamais. J’avais un petit espoir qu’elle soit un peu plus courte. En plus on passera le mythique Djebel Rheris, le roadbook nous demande de bien être prudent, comme si tout cela n’était plus qu’un jeu.

Etape 4: La longue 82,5km, ça passe ou ça casse

J’ai un peu étudié la carte de cette 4e étape et une seule chose me fait peur, la chose qui ne me permettrait pas de finir cette étape. Entre le ravito 2 et le ravito 3, il y a 12 kilomètres et aux vues des précédentes étapes il me faudra 3 bouteilles d’eau pour arriver au ravito 3. Sur ma carte de ravitaillement en eau, où sont notées toutes les bouteilles à chaque ravitaillement, il est noté 2 bouteilles. Sans 3 bouteilles, il est sûr que je ne passe pas cette étape ça sera donc l’abandon !

Encore une fois je ne dors pas très bien cette nuit là, pas le vent, mais plutôt des insomnies entre minuit et 2h du matin surement dues au stress de cette longue étape. Encore une fois, toute la tente 38 est présente au départ de cette étape. Malgré quelques vomissement dans les tentes alentours entendus pendant mes insomnies, nous sommes encore tous frais et en forme.

Le départ est toujours donné avec la chanson d’AC/DC « Highway to hell », Patrick Bauer et son acolyte sont en pleine forme. Patrick nous a encore annoncé une hécatombe d’abandons, encore une bonne centaine de coureurs « out » au départ de cette étape. Que dire, je suis content d’être encore parmi les valides, environ 272 abandons sur les 672 coureurs au départ de la première étape (40% d’abandons), c’est énorme pour le MDS, mais qu’est-ce qu’on fout là.

Mon tendon d’Achille gauche commence à me tirailler mais rien d’alarmant, nous partons ensemble avec Alain. Les 50 premiers du classement au général vont partir après nous, cela permet de resserrer le peloton et de voir les fusées de tête de course nous dépasser après 1 ou 2 h de course. Le parcours est assez roulant, je me souviens de quelques dunes assez raides et magnifiques, je rejoins Alain qui m’avait un peu distancé juste avant le ravito 1. Je fais la connaissance avec un lyonnais Gérald à ses belles chaussettes de la SaintéLyon, on discute un peu et avec Alain nous le doublons. Je crois que l’on passe le ravito 1. Peu après ce ravito, la tête de peloton nous dépasse à grande vitesse, les élites semblent ne pas souffler en courant ni souffrir de la chaleur, c’est hallucinant.

Un peu après le ravito 1, je sens mes forces m’abandonner, je suis fatigué, fatigué de sommeil. Je vois le dernier des élites Greg Runner me doubler comme s’il était à l’entrainement. Alain est déjà au loin sur cette ligne droite, je commence vraiment à ne plus tenir debout. Cette fatigue, qui me prend à chaque étape ou presque, est étrange. Est-ce de la fatigue ou de la déshydratation ? Je continue en essayant de me réveiller, de courir un peu mais rien n’y fait. Je dors, je suis « out » hors-jeu, kaput. Les dunes arrivent et c’est le summum, je n’avance plus, je suis exténué, je dors sur place. Le ravito 2 est à quelques encablures, mais vais-je l’atteindre ? Je n’en peux, plus il faut cela change, je me repose à 2 km du ravito. Je fais signe à tous les coureurs que je suis bien mais que je me repose, oui en plein soleil, sous 50°C, à l’ombre d’une petite touffe d’herbe dos au soleil. Il faut que je me repose, juste m’assoir, ne pas dormir mais juste me reposer.

Ma décision est prise, au ravito 2, je vais voir les docteurs pour essayer de comprendre cette fatigue chronique, je ne peux pas continuer comme cela. Je me suis remis en marche, et en arrivant proche des voitures et des tentes du ravito 2, je vais voir les doc-trotters. Là, je vois une coureuse en pleine déperdition, en là voyant je me console et je me dis que je ne suis pas dans son état. Pensée égoïste mais en la voyant auprès des docteurs je la sais dans de bonnes mains. J’interpelle, la doctoresse à savoir si mon état de fatigue est lié à la déshydratation. Elle me demande « as-tu des diarrhées ? Des vomissements ? ». Je réponds que non. Elle me dit que c’est juste de la fatigue. Me voilà soulagé, je vais me reposer sous une tente. Je vois Alain, je bois, je mange un taboulé et me repose sans vraiment dormir. Après quelques dizaines de minutes, je me remets en marche, Alain est parti il y a 10 ou 20 minutes. Au ravito, 3 bouteilles nous sont données, me voilà soulagé, j’ai validé toutes mes chances pour arriver au 3e ravito.

Je ne sais pas si c’est le taboulé, conseillé par Alain, ou juste la fin de cette forte fatigue, mais me voila requinqué. Après une bonne demi-heure de marche rapide, je me surprends à siffler, je ne sais pas vraiment quelle chanson. Je continue la chanson … en fait je siffle « I will survive ». Le cerveau a basculé, le moral est de retour, je ne suis pas encore au ravito 3 mais je sais que je finirai cette 4e étape, cette longue étape de 82km. Mon cerveau le sait et maintenant moi aussi.

Je marche seul en plein désert, vent de face, il fait chaud toujours chaud, je passe un ancien lac salé et je monte sur l’oued pour arriver sur l’arrivée du 3e ravito. J’arrive en n’ayant pas bu mes 3 bouteilles d’eau, ce qui me semblait impossible il y a quelques kilomètres est fait. En arrivant Alain est là et se restaure un peu avec Fred et Stéphane de notre tente. Je m’installe un peu avec eu, j’en profite pour manger également, une barre un mini saucisson pour fêter cette victoire sur cette étape, je suis enfin au ravito 3, le basculement de cette étape.

Nous repartons avec Alain ensemble pour un bon moment, après quelques centaines de mètres, la nuit est maintenant tombée, à la frontale nous allons affronter la nuit. Quelques centaines de mètres après le ravito, deux voitures de l’organisation sont embourbées dans le sable, nous passons notre chemin en suivant les sticks lumineux qui nous montrent le chemin. Quelques kilomètres se suivent dans des mini dunes, puis sorti de nulle-part un homme nous surprend un peu en nous disant qu’il fait parti de l’organisation du MDS, son 4×4 s’est embourbé dans les dunes et les petits sticks lumineux sont absents sur 1 ou2 kilomètres. Il nous dit de suivre le cap et que nous allons arriver sans encombre sur les prochains témoins lumineux. C’est effectivement ce qu’il se passe, il y a bien 2 nanas qui semblent un peu perdues et font les chouineuses alors qu’il y a des coureurs visibles à plusieurs centaines de mètres. Le terrain est très dur et nous enfilons les km tranquillement jusqu’à de nouveau des dunes juste avant d’arriver au ravito 4.

Arrivée au ravito 4, on décide de bien manger Alain a envie de se reposer un peu, je n’ai pas sommeil, je commence à me faire à manger, j’ouvre mon sac, je mets mon réchaud en marche et je me fais un excellent hachis-parmentier. Oui, il était excellent ce hachis. Est-ce la chaleur? L’habitude du lyophilisée depuis 4 jours qui haltère mes papilles? Mais je trouve ce hachis excellent, je le fais gouter à Alain qui ne dit pas le contraire. Je mange tranquillement mon repas de mi-course (un peu passé le km 50), pendant qu’Alain se repose un peu. Après une bonne demi-heure, nous repartons pour le ravito 5.

D’avoir mangé, cela m’a encore plus réveillé, je suis vraiment en forme, je file en tête et Alain commence à piquer du nez, mais il arrive à bien me suivre. Le parcours n’est pas très intéressant et surtout pendant la nuit, à part un sol très dur et les lumières des coureurs devant, on ne voit pas grand chose. Mes tendons me tiraillent toujours un peu plus, mais j’avance bien, la douleur est gérable. Ensuite nous passons sur des dunes avant l’arrivée du ravito 5, je suis content d’arriver et de me reposer un peu et de soulager mes tendons.

Alain et moi trouvons des transats pour s’assoir. Quel luxe! C’est un vrai palace de pouvoir s’assoir simplement sur des chaises longues. Alain va voir les docs et me remercie ? « Merci de quoi? » je lui réponds, il me dit qu’il est cuit et a sommeil, sans le savoir je l’ai emmené jusqu’au ravito 5. Je suis étonné, je pensais qu’il allait bien. Alain me dit de le laisser ici et qu’il va dormir 2 ou 3 heures. Je suis encore plus surpris, je n’ai absolument pas sommeil, je suis un oiseau de nuit et je pense repartir car ces 3 heures vont refroidir mes tendons et je ne pourrai jamais repartir. Sébastien de ma tente est aussi là, on décide de partir ensemble car il vient de se reposer et est en pleine forme.

Je laisse à regret Alain qui m’a dit qu’il allait se reposer et partir, ou abandonner. Tout le monde est au bout du rouleau, je suis un peu inquiet pour Alain. On est au 60e km, il est 2h ou 3h du matin, on est tous passé par des moments difficiles et je sais que je ne peux pas rester ici 3h. Si je ne dors pas, je ne suis pas sûr de repartir à mon tour. Alors j’espère qu’il repartira sans encombre de ce ravito. On repart avec Seb et nous montons un mur. Le fameux Djebel El Othfal qui se monte habituellement de jour, mais surprise de cette année on le passe de nuit. Une montée difficile, très caillouteuse, sableuse et parfois en rappel jusqu’au sommet, Alain a bien fait de s’arrêter, il m’a dit que s’il continuait il courrait à « la casse ». En montant ce Djebel, je réalise qu’il faut vraiment être à 100% éveillé, sinon oui on court à la catastrophe. On y croisera François de notre tente et qui disparaitra au sommet, il va vite le bougre. Et s’ensuit une descente tout aussi casse-gueule avec des cailloux tranchants sur une voie interminable. J’attends un peu Seb qui commence à ressentir la fatigue.

Cette descente n’en finit pas, elle est interminable, que de la caillasse, on double quelques coureurs. Et le pire s’en vient, des dunes à passer des petits dunes de quelques mètres de hauteur et de descente. Sur le sommet de ces petites dunes des sticks lumineux qui nous montrent le chemin. Un, deux, trois, quatre … sticks lumineux au loin, ça n’en finit pas.
Seb est cuit et a sommeil, il n’en peu plus mais comme un robot me suit. Sur le sommet d’une dune, il me demande de m’arrêter, il s’assied avec moi et ferme les yeux. Après quelques secondes je l’interpelle: « Seb … Seb tu dors ? » pas de réponse. Quelques secondes plus tard, il se réveille et nous repartons comme des zombies, perdus dans ces dunes qui n’en finissent pas. Trois ou quatre km de dunes et dunettes interminables à monter et descendre, le pauvre Seb me suit sans broncher. Ensuite une interminable ligne droite presque plate, Seb me suit toujours 5 à 10 m derrière moi. Je me retourne une, deux ou 10 fois, Seb est là, je le reconnais à ses chaussettes montantes et à sa démarche. Je crie « Seb t’es là? » … « Oui oui je suis là » me répond-t-il à chaque fois. Je sais ce que c’est d’être dans cet état et je lui tire mon chapeau c’est très difficile d’avancer comme cela, j’étais dans cet état avant le ravito 2 et c’est insupportable de ne pas pouvoir se réveiller tout en marchant et on ne peut rien faire.

Enfin au loin le ravito 6, une lumière au loin. Cela nous prendra encore un temps infini pour voir ce dernier ravito. Nous arrivons enfin, Sébastien est aux anges il va pouvoir se reposer (il ne pourra même pas s’endormir), je laisse Sébastien aux bénévoles qui même à 5 ou 6h du matin sont toujours au top et qui nous encouragent comme si nous étions les premiers.
Je pars pour le dernier tronçon de cette étape longue. Le soleil va se lever, je me fais doubler par une coureuse qui file un peu devant moi. Je branche mon téléphone, pas de réseau. Je continue à un petit rythme pendant quelques kilomètres, je suis pas trop mal, mais les tendons d’Achille sont de plus en plus douloureux. D’un coup un ami (Antoine) d’un groupe de coureurs avec qui j’avais fait le HMDS en 2018, envoie un message au groupe disant que je suis en train de finir la longue étape.

Dans les 10 derniers km de la longue

Je réalise que je ne suis pas seul dans cette aventure, tous mes supporter WhatsApp me suivent et ce message me booste comme une piqure d’adrénaline. Je pousse sur mes bâtons et accélère le plus possible en marchant. Je vois d’autres coureurs devant, ils sont devenus mes cibles. Je vais faire une remontada de quelques places. Je dépasse 2 ou 3 coureurs avant d’arriver triomphant à la fin des 82km de cette étape. Je suis même sur la vidéo officielle de l’arrivée de la 4e étape du MDS, la joie est visible.

Arrivée avec le sourire à partir de 0:45

Peu après mon arrivée, je m’aperçois que 2 ampoules ont poussé sur l’extérieur de mes talons, une petite et une plus grosse. Par contre mon tendon d’Achille gauche, qui me fait vraiment souffrir depuis la moitié de la 4e étape est vraiment gonflé. Je vais faire la queue chez les Doc-Trotters pour faire soigner mes ampoules et savoir si mon tendon « tiendra » le reste de la course. A la vue de mes pieds, le docteur dit « c’est tout, 2, 3 petites ampoules très nettes et propres ». Oui la préparation des pieds avec les crèmes Nok et Tano a très bien marché. Je regarde le coureur à coté de moi, cela me fait froid dans le dos. Des plaies à vifs, des ampoules douloureuses rien qu’à les regarder. Quand le médecin le soigne avec de l’éosine, j’entends mon voisin dire « arrêtez sinon je vais m’évanouir », vu sa plaie il ne rigole pas. Par contre, mon docteur ne semble pas inquiet de mon tendon d’Achille gonflé, il me dit que cela n’est que superficiel, me voilà donc rassuré.

Etape 5: Le Marathon 42,2km, la douleur et la fin

Les corps sont fatigués, tous les survivants de notre tente sont présents, on à tous plus ou moins de gros problèmes aux pieds et aux doigts de pieds, mais on est tous présents et prêt à finir la dernière étape qui représente un marathon. La nuit a été très compliqué pour bon nombre de coureurs, 77 coureurs ayant fini la longue étape abandonnent au départ de ce marathon. L’hécatombe continue, on atteint 48% d’abandons, du jamais vu pour le Marathon des Sables en 35 éditions. Avant le départ Patrick Bauer nous donne toujours les mêmes recommandations concernant la balise de secours, sur les pastilles de sel et les bouteilles d’eau.

Le départ est donné, mais ce matin je fais « grise mine », mes 2 tendons d’Achille me font très mal, le gauche très gonflé mais le droit aussi. Sur le premier kilomètre je grimace fort, je me pose des questions. Alain me regarde à plusieurs reprises sans vraiment comprendre, je ne sais pas si je vais pouvoir continuer, la douleur est invalidante. Je serre les dents, j’ai vraiment mal, j’ai des doutes sur les dires du médecins, mes tendons vont-ils tenir encore 42km? Avec ce niveau de douleur j’en doute, la douleur est utile au corps humain, mais là, ne vais-je pas vers la rupture du tendon? J’ai mal et je continue à marcher.

Après un ou deux kilomètres, la douleur s’estompe légèrement et semble un peu plus supportable, je continue à bien boire et à prendre mes pastilles … enfin celle d’Alain, j’ai perdu les miennes sur le bivouac cette nuit. On continue à marcher sur un sol dur on passe encore quelques dunettes. Alain file devant, a plusieurs reprises je me surprends à courir pour le rejoindre, je me sens pas trop mal et la course soulage un peu mes tendons. Comme à la précédente étape les leaders sont partis après nous et nous dépassent avant le premier ravito à une vitesse hallucinante en plein milieu dans les dunes.

Au premier ravito, tout va un peu mieux, les tendons sont douloureux mais bien moins qu’au départ, tout semble mieux et je pense que les tendons tiendront. Je regarde autour de moi, je compte pas moins de 24 voitures et/ou 4×4 qui nous accompagnent dans le désert, l’organisation est incroyable on est suivi par des buggies, des 4×4, des hélicoptères en plein milieu du désert, c’est impressionnant.

En route pour le 2e ravito, je m’amuse de nouveau à courir pour rejoindre Alain, on continue sur un oued (lit de rivière asséché), il fait une chaleur à crever ma montre ira encore jusqu’à une température de 42°C, mais la température en plein soleil doit bien atteindre les 50°C, certains disent encore plus.

Toujours avec Alain nous continuons ensemble sur cette 5e étape, on passe de nouveau des dunes avant une longue ligne droite vers le dernier ravito. Oui le dernier ravito de ce Marathon des Sables, mais la ligne droite, avant celui-ci, est interminable de 4 ou 5km sans aucun relief et droit comme un « i ». Nous passons le dernier ravito, les bénévoles nous encouragent et nous disent qu’après c’est l’arrivée de cette dernière étape. Les cerveaux basculent en mode Finisher, avec Alain on discute de la vie, de la suite des prochaines courses. On passe la dernière difficulté, un petit djebel, une petite montée et derrière: le camp, la vie, l’arrivée, la médaille. On prend quelques photos, on descend gentillement ce dernier obstacle, s’ensuit encore une belle ligne droite jusqu’au bivouac. Encore 2 ou 3 km, en continue à marcher, je prends quelques photos Alain m’attend, plus que 300m … 200m et dans les 100 derniers mètres on recommence à courir. Cette sensation est unique, on est encouragé par les bénévoles, cette sensation de courir m’a un peu manqué, je n’ai fait que marcher lors de Marathon des Sables, mais quel plaisir de passer la ligne après toutes ces douleurs, ces doutes, les quelques nuits sans sommeil et cette chaleur suffocante.

Patrick Bauer nous remet les médailles, je la passe autour du cou d’Alain, il la passe autour du mien. C’est presque irréaliste, nous voici finisher du MDS … enfin pas tout à fait il nous faut encore faire les 8 derniers km non chronométrés demain matin. J’appelle ma femme, elle est aux Anges, elle nous a vu en direct sur le live Youtube du MDS, j’ai un peu du mal à réaliser ce que nous venons de traverser. Mais quelle aventure extraordinaire.

Etape 6: Etape solidarité et fin

Dernière étape du MDS, 8.5km uniquement à faire, pas vraiment de difficultés à franchir, gravir ou surmonter. Quelques dunes et dunettes et après la délivrance, une lit mou, un douche et manger autre chose que du lyophilisée: des légumes frais, des fruits et des vrais plats en sauce. Mais avant il faut quand même finir les quelques kilomètres qui nous séparent de l’arrivée.

Comme à son habitude Alain part devant et je ne peux pas vraiment le suivre, mes tendons d’Achille sont toujours douloureux, mais bien moins qu’hier. Sur le départ, le parcours est très plat et roulant. Au bout de 1 ou 2 kilomètres, un journaliste essaie de me poser une question digne d’un concours Miss France: « que penses-tu de l’étape Solidarité du Marathon des Sables? ». Pris vraiment au dépourvu et ne trouvant rien à répondre que « oui c’est très bien », je croise les bras en lui disant que je ne suis pas vraiment le bon candidat pour ce genre de questionnaire et je continue ma marche clopin clopant en essayant de revenir sur Alain.

Au loin un autochtone nous voit défiler en file indienne avec nos t-shirt jaune poussin du MDS pour cette étape de solidarité. Il doit se poser pas mal de questions sur ces touristes en mal de sensations fortes.

Je finis cette dernière étape en un peu moins de 2h, je n’ai pas revu Alain qui a filé dans son bus climatisé dès son arrivée. Je le comprends bien, un bon repas (sandwich) nous attendra dans le bus et nous le mangerons quelque part en plein soleil sur le bord de la route à l’ombre du bus.

J’arriverai néanmoins le premier pour la douche, le bus d’Alain s’étant perdu dans les méandres du désert un peu avant Ouarzazte. Après une bonne douche et un très bon repas buffet à volonté, nous avons enfin pu dormir sur des matelas souples et moelleux.

Le lendemain nous avons récupéré les T-shirt de finisher et nous nous sommes reposer à l’hôtel et très peu visité la ville de Ouarzazte.

Je finis 289e sur 354 finishers, il y aura 314 abandons soit 47% des partants. C’est du jamais vu sur le MDS, normalement les taux d’abandons est de 5 à 7%. La chaleur écrasante, j’ai entendu jusqu’à 58°C en plein soleil (il n’y avait pas d’ombre), une taux d’humidité un peu plus élevé et une bactérie de gastro a décimé le peloton de ce 35e Marathon des Sables.

La tente 38 finira au complet, aucun de nous n’a abandonné.

J’ai encore du mal à réaliser que j’ai bel et bien fini le Marathon des Sables, mais de tout ce que j’ai lu, c’était le plus dur de tous les Marathon des Sables. Nous avons eu surtout beaucoup de chance de ne pas être touché par cette bactérie, certaines tentes du bivouac étaient vides les derniers jours.

J’ai adoré cette course, mais le manque de sommeil m’a vraiment poussé dans le dur et à plusieurs moments j’ai senti les sirènes de l’abandon me tourner autour.

Je ne connaissais pas, je ne me rappelle pas l’avoir vu, mais une dernière pensée pour Pierre qui nous a quitté lors de la 2e étape.